1ère Classe de Défense : A la recherche des 34 enfants juifs déportés depuis le Tarn en 1942 – destination Auschwitz

13 avril 2023

Le mercredi 29 mars, nous sommes partis en avion, de Toulouse, pour le centre de mise à mort Auschwitz-Birkenau en Pologne, à 60 km de Cracovie, pour accomplir la suite de notre périple sur les traces des 34 enfants juifs déportés depuis le Tarn en 1942.

Notre voyage d’étude débuta aux aurores. En effet, nous avions rendez-vous à 4h du matin devant notre lycée, Barral à Castres, pour partir, en bus, jusqu’à l’aéroport de Blagnac. Nous devions prendre un avion affrété spécialement pour des classes de lycéens de six établissements différents de la région Occitanie, car ces voyages d’étude exceptionnels sont le fruit d’un partenariat passé entre la région, l’Education Nationale et le Mémorial de la Shoah. Nous étions ainsi accompagnés de Madame Carole DELGA, présidente de la Région Occitanie, de Monsieur le Recteur d’académie, Mostafa FOURAR et de Messieurs Olivier LALIEU et Rémy SEBBAH, représentants le Mémorial parisien. Arrivés en Pologne vers 10h30, nous avons pris un bus durant une petite heure de manière à nous rendre de l’aéroport jusqu’au camp d’Auschwitz. Durant ce trajet, nous avons pu écouter une guide qui contextualisa la situation des juifs en Pologne en rappelant leur histoire depuis le Moyen-Age. Au début de la guerre la Pologne comptait plus de 3 millions de juifs, et il n’en reste plus beaucoup aujourd’hui… Le représentant du Mémorial de la Shoah , Olivier Lalieu, nous a ensuite expliqué le but de notre visite pour ce voyage d’étude. Et pour finir, Jean-Baptiste a pu présenter notre projet « A la recherche des 34 enfants juifs déportés du Tarn en 1942» à la Présidente de la région Occitanie, au Recteur de l’académie de Toulouse ainsi qu’à d’autres représentants.

La visite était assurée par une guide polonaise passionnante, Dorota, qui transmit son grand savoir, précis et scientifique, tout en nous émouvant, tous, très profondément. Nous avons donc commencé la visite par une partie extérieure du camp de Birkenau. Nous étions, en fait, sur une des multiples voies ferroviaires qui avaient pour destination Auschwitz-Birkenau. Sur cette dernière se tenait un authentique wagon, ayant réellement servi à la déportation de nombreux juifs durant la Seconde Guerre mondiale.  Dorota a donc commencé à nous parler de l’histoire, hors norme, de ce centre de mise à mort, de manière très approfondie.


Photo de la « juden ramp » à l’extérieur du camp. A l’arrivée, les déportés y étaient descendus et devaient marcher jusqu’au camp. Pour les plus fatigués, des camions attendaient pour les charger, destination la mort immédiate. Mais ils ne le savaient pas car tout reposait sur le mensonge. Le lieu est aujourd’hui illustré par les dessins d’un déporté extraits des Carnets d’Auschwitz, découverts après la guerre

Après cette explication détaillée des conditions, terribles, du voyage de ces déportés nous avons cheminé à pied jusqu’à l’entrée du camp, si connue, de Birkenau.

« Nous avons continué d’avancer et Dorota, qui tenait à nous faire marcher dans les pas de ces juifs exterminés, nous emmena alors de l’autre côté de cette porte. Nous étions dans l’enceinte du camp. A partir de ce moment de la visite, l’émotion se fit énormément ressentir, nous prenions réellement conscience du lieu dans lequel nous nous tenions, lieu où près de 1.100.000 juifs ont perdu la vie en quelques années (1941-1945). Nous avons donc poursuivi notre visite en passant, notamment, sur les rampes ayant servi de lieu de sélection. Nous avons, d’ailleurs, traversé une des principales rampes d’Auschwitz-Birkenau, et en voyant les ruines des anciennes baraques où avaient été entassés des centaines de juifs, derrière des barbelés aux pics encore terriblement dressés, l’émotion nous terrassa.

Durant toute la matinée – bien qu’elle soit une très longue matinée, puisque nous avons terminé la visite de ce camp d’Auschwitz-Birkenau aux alentours de 15h30 – nous avons continué à marcher là où tant des personnes avaient posé leurs pieds sans jamais pu opérer un demi-tour.

Toute cette visite était assez difficile à vivre, car, et nous en avions pleinement conscience, ce lieu fut le centre de mise à mort qui prit le plus de vies dans ce programme funeste, mis en œuvre par les nazis, pour éliminer les Juifs d’Europe. Notre guide nous parla ainsi de la « maison rouge » et de la « maison blanche », deux fermes transformées en chambres d’extermination. Elle évoqua, également, les fosses communes où étaient incinérés, en pleine nature, des milliers de corps sans vie, des lieux où nous pouvons encore, de nos jours, retrouver des restes humains. A chaque étape, des photos prises à l’époque, par les nazis eux-mêmes, illustrent les lieux, et constituent de véridiques traces permettant le souvenir.

Vestiges de baraques et barbelés, miradors qui surveillent le camp…nous marchons dans les traces des disparus

Notre guide nous expliqua, aussi, les procédés utilisés par les nazis pour éliminer autant d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards, après les avoir triés pour ne garder que les « aptes au travail », les seuls qui avaient momentanément la vie sauve. Elle répéta, plusieurs fois, une phrase qui nous marqua profondément : « aujourd’hui vous aller passer plus de temps dans ce camp que beaucoup de ces déportés qui étaient éliminés dès leur arrivée ».

On voit la différence entre les quatre photos ( à gauche) prises par les nazis, bien cadrées, où les foules semblent tranquillement attendre leur sort, sans angoisse ni crainte car les nazis leur mentaient, et les trois dernières (côté droit) prises en cachette, mal cadrées et floues, par un « sondercommando » qui voulait laisser un témoignage indiscutable des mises à mort

Devant les vestiges de la « maison blanche », première chambre à gaz utilisée par les nazis, et sans savoir si ce fut là vraiment que « nos enfants » disparurent, nous organisâmes une petite cérémonie de lecture de leurs 34 noms. En effet, Madame Pietravalle, notre professeur, nous a toujours dit qu’à chaque fois que l’on prononce le nom de ces enfants, on leur rend leur humanité, et on les fait revivre, ils ne sont plus effacés.

Cinq d’entre nous les appelèrent un par un, en rappelant leur âge. La plus jeune avait 3 ans, la plus âgée 17 ans…, et nous tous, tête baissée, les yeux humides des larmes contenues, dans un silence assourdissant, nous avons vu leurs noms s’envoler des bouches de nos camarades, et, en même temps imprégner les lieux de leur présence. Nous avons également eu une pensée pour Ernest et Claire Heilbronn.

Après ce moment de recueillement, nous avons avancé vers le « sauna », comme il était appelé par les nazis. C’est l’endroit où les déportés, considérés comme aptes au travail, devaient se laver («Brausen»), se déshabiller, donner toutes leurs affaires, se faire raser («Haarschneideraum»), se faire tatouer, se refaire contrôler par un médecin SS («Untersuchungsraum») et enregistrer. Nous avons donc traversé ces différents lieux où se trouvaient encore les machines à laver et à désinfecter. Dorota expliqua que les nazis désinfectaient tous les biens des Juifs afin de les envoyer ensuite au troisième Reich, en Allemagne.

La plaque de la synagogue de Castres portant les noms de ces 34 enfants, gazés à Auschwitz, 11 jours après leur arrestation à Lacaune dans le Tarn, le 26 aout 1942.

Pour rendre leur humanité à ces personnes, une exposition de plus de 1000 photos est présentée dans une pièce du «sauna». Photos retrouvées dans une valise derrière la gare d’Auschwitz après la guerre. Ensuite, nous avons rejoint la place principale, où nous avons pu voir les Krematorium II et III en ruine et nous nous sommes tous retrouvés devant le monument de commémoration d’Auschwitz-Birkenau pour rendre un hommage à l’ensemble des victimes de cette folie humaine.

Des visages, des sourires, des familles, des moments de bonheur, volés, détruits par la fureur nazie mais ils nous regardent toujours aujourd’hui.

Madame la Présidente de la Région Occitanie et les autres officiels y prononcèrent un discours, devant la plaque commémorative française, pour rendre une fois de plus hommage à tous ces humains morts à cause de l’idéologie nazie, fondée sur l’antisémitisme et la haine de l’autre. Une gerbe a, alors, été déposée sur la plaque française et nous avons tous respecté une minute de silence pour nous souvenir…pour ne jamais oublier. Notre matinée s’est achevée ….mais notre journée de mémoire était loin d’être finie. Après une brève pause déjeuner, nous sommes repartis pour la visite du musée international d’Auschwitz I, camp de concentration.  L’horreur de ce lieu ressortit très vite. Les témoignages et les histoires particulières de tout ce qui avait pu se passer dans cette ancienne caserne, transformée en camp après l’invasion de la Pologne par les Nazis, nous glacèrent le sang.

Le sinistre portail d’entrée de Auschwitz 1, avec la cynique inscription « Arbeit macht frei »

Nous avons donc commencé notre découverte de cet autre lieu concentrationnaire et d’extermination, tant pour les juifs que pour les Polonais résistants au nazisme. Nous avons, par exemple, fait une halte devant les barres, authentiques, qui avaient servi à pendre des hommes quand un prisonnier avait réussi à s’échapper. Ces punitions collectives étaient particulièrement dissuasives et terrifiantes. Les barraques étant totalement conservées, nous pûmes en visiter quelques-unes. A l’intérieur de la barraque 27 se tenait une exposition sur la Pologne et ses communautés juives avant la Shoah : il y avait de grands écrans de projections qui affichaient des photos témoignant de la vie quotidienne des juifs dans l’entre-deux guerres. Ce passage était très émouvant car, en quelque sorte, cela permettait de redonner vie à tous ces disparus, ces familles assassinées parce que juives. Un peu plus loin nous sommes tombés sur un immense livre : le « grand livre des noms », avec tous les noms des déportés. Nous y avons cherché fébrilement les noms de nos enfants, accrochés à ces pages dont l’immensité donnait le vertige.

Le bloc 11 était la prison ! quelle ironie ! une prison dans une prison ! avec sa cour des exécutions. Nous avons ensuite poursuivi ce parcours de terreur dans des baraquements différents regroupant les objets laissés par les déportés, les seuls vestiges de leur passage sur terre. Y sont entassées, par dizaine de milliers, les chaussures de tous ces déportés à Auschwitz, ou encore leurs valises ou même pour finir, la chose la plus affreuse, les cheveux des femmes, rasées à leur arrivée. Ils servaient à confectionner des tissus, car cette extermination rapportait aussi de l’argent aux Nazis. Passer à travers ces amoncellements d’objets personnels, témoins d’une ancienne vie paisible avant la guerre, nous a bouleversés car nous pûmes comprendre alors ce que signifiait le nombre de 1100000 humains éliminés là. Ce nombre abstrait prenait alors tout son sens. La réalité effroyable de l’extermination se fit vraiment ressentir à ce moment de notre parcours. Nous avons continué à marcher et nous sommes notamment passés devant des bâtiments ayant servi « d’hôpital » par exemple, un « hôpital » dont on ne revenait jamais.

Mur des déportés fusillés et poteaux d’exécution (à gauche) dans la cour du bloc 11.

Dans ce camp aux allures de petite ville avec de grandes allées et des « trottoirs », certaines pauses auprès d’objets apparemment banals furent aussi instructives sur l’art du mensonge des nazis. Ainsi en est-il de la piscine ! A côté de ce bassin à l’eau sombre, Dorota nous rappela l’histoire terrible du nageur juif toulousain Alfred Nakache, héros des JO, résistant et déporté avec femme et enfant. Les nazis pour l’humilier lui faisaient accomplir des défis au fond de ce bassin. Sa femme et son enfant ne sont jamais revenus d’Auschwitz. Sa force et son courage lui ont permis de s’en sortir, mais considérablement amaigri et profondément blessé. Olivier Lalieu, historien et représentant du Mémorial de la Shoah précisa, quant à lui, que ce bassin faisait partie du mensonge dans lequel on maintenait le monde quant au rôle de ces camps, et qu’il avait été construit pour satisfaire les exigences des assurances de l’époque !  Nous avons terminé notre visite en nous rendant dans la seule chambre à gaz encore conservée, à l’intérieur de laquelle nous avons refait exactement le même cheminement que tant de juifs avant, mais nous, nous avons pu en ressortir. Eux y ont péri dans des douleurs longues et atroces comme nous l’a expliqué Dorota.

La prise de conscience dans ce lieu de mort, de notre chance et de leur malheur fut particulièrement déchirante : nous nous demandâmes à nouveau comment l’homme pouvait être conduit à vouloir anéantir son prochain pour une simple raison d’origine différente. Toucher du doigt l’ampleur de la haine qui a pu conduire là, a vraiment, pour nous, été un moment capital dans notre démarche… et nous pensions alors surtout à nos enfants déportés du Tarn… à leur peur, à leurs pleurs, abandonnés de tous, sans leurs parents pour les accompagner, effacés par l’industrie nazie, dans la plus grande indifférence de ses sbires… ou peut-être avec leur complicité… car certains d’entre eux croyaient fermement aux inepties de l’idéologie inculquée par Hitler: en tuant des enfants juifs, vous sauverez les vôtres…Certains nazis , en accomplissant leur sombre tâche pensaient donc se débarrasser d’une énorme menace pour la vie même de leur peuple !

Notre visite s’acheva donc ainsi, nous étions le 29 mars 2023 et chacun d’entre nous ressortit bien différent de ce qu’il était le 28 mars, avant d’arriver. Il était temps pour nous de rentrer en France, mais avec une vision totalement refaite et en comprenant que désormais, pour nous, penser le régime nazi nous renverrait pour toujours à Auschwitz. Nous terminerons en disant qu’il est strictement impossible de pouvoir ne serait-ce qu’imaginer toute l’horreur qui a pu se passer dans ces lieux. La folie destructrice est humaine et nous nous en sommes bien rendu compte. Ce type de voyage est primordial et il faudrait que tous les jeunes puissent un jour l’accomplir pour que plus jamais quelque chose de tel puisse arriver.

Nous avoir permis d’aller sur ces terres lointaines, sur ce lieu de mémoire et d’histoire, nous a vraiment permis de réaliser ce qu’était l’inhumanité en fait nous avons fait un voyage, non pas au bout de la nuit, mais au-delà de l’humain, un voyage dans l’enfer de l’humain, un voyage dans le vide aussi car il ne reste plus rien que les objets, témoignant du passage, du décès de cohortes d’hommes, femmes, enfants, vieillards éliminés ici.  Un lieu comme celui-ci est unique et nous devons tous nous rappeler pour ne jamais oublier et pour que notre terre n’ait plus à porter à nouveau un lieu où l’homme s’est tué lui-même…

Lilou Lanzère, l’une d’entre nous, a fait un récit très personnel de ce qu’elle a vécu et le voici :

« J’ai eu l’immense opportunité, ce mercredi 29 mars 2023, de me rendre sur le complexe d’Auschwitz en Pologne là où s’est terminée la vie de plus de 1 million de personnes, dont celle de nos 34 enfants juifs déportés du Tarn.  Cette journée m’a paru hors du temps. Passionnée depuis maintenant plus de 4 ans par la Seconde Guerre mondiale, je m’étais fait un nombre incalculable de scénarii sur ce lieu d’horreur qui concentre toute la barbarie dont l’homme est capable. Il m’a d’abord été difficile de m’imaginer que tant de personnes, dans ce lieu effroyable, ont perdu la vie pour seul motif d’être juif. Puis au fil de la visite, en voyant toutes ces installations et ces preuves sous mes yeux, j’ai réellement pris conscience de ce génocide. Contrairement à d’autres personnes, je ne nie pas ce qui s’est passé, je ne ferme pas les yeux, mais se rendre sur les lieux du crime m’a fait réaliser que l’homme est capable du meilleur comme du pire. Pour moi, le moment le plus émouvant et le plus poignant a été ces murs de photos où nous avons vu chaque visage, chaque personne qui, avant la guerre, avait une vie simple et paisible comme nous. Cette réalité m’a frappée quand j’ai vu toutes ces paires de chaussures, ces valises, ces cheveux …le désarroi et l’indignation m’ont envahie car je me suis demandé comment des êtres humains avaient pu commettre un tel crime.  De cette journée, qui m’a paru hors du temps, j’en ressors une leçon de vie, un enseignement. Notre guide nous a fait suivre le chemin qu’ont pris nos 34 enfants juifs déportés du Tarn vers Auschwitz Birkenau, de la « Judenrampe » jusqu’aux crématoriums. Nous avons retracé le chemin de leur déportation jusqu’au bout, 80 ans plus tard. J’ai pris conscience que par notre projet, notre passage à Auschwitz, ce crime ne s’efface pas, ne tombe pas dans l’oubli. En gardant à l’esprit ce que les nazis ont été capable de faire et le crime contre l’humanité qui s’est produit ici, nous pouvons empêcher que cette horreur se reproduise.

Pour cette immense opportunité, j’adresse mes plus sincères remerciements à la Présidente du conseil régional d’Occitanie, Carole Delga, à tous les membres du Mémorial de la Shoah, au recteur de  notre académie, Monsieur Mostafa Fourar, à la directrice du camp de Rivesaltes, Céline Sala-Pons, et à notre guide Dorota Kuczyńska ».

Nous remercions, tous, le Mémorial de la Shoah et la Région Occitanie de nous avoir permis de mieux comprendre les rouages de cette extermination et le fonctionnement de ce centre de mise à mort, et de nous avoir permis de nous recueillir sur les traces de nos enfants déportés du Tarn.

Article réalisé par Léo Delmotte-Rech, Julie Castel, Emmy Coupey Matéo Gonçalves, Lilou Lanzère, Stanislas Cuypers, Fanny Garcia, Perrine Vinay, Timothée Fauré, Eileen Roussaly, et Valérie Pietravalle. Photos de Léo et Julie, Barral, le 6 avril 2023.

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